Un an de maternité : bilan d'une néo-mère noire
--
En l'honneur de l'anniversaire de ma fille, je me penche en ce jour de Juin sur ma première année complète en tant que maman. Je fais le bilan, calmement, d'une année en tant que néo-mère noire, reconnaissante et fatiguée.
En 2021, j’écrivais ici mes angoisses quand on m’a annoncé que j’allais accoucher d’une petite fille. Je racontais ma terreur grandissante en réalisant les horreurs misogynoiristes que ce monde lui fera tôt où tard subir. Aujourd’hui, ma fille a un an. Elle dit “papa”, “maman”, elle commence à marcher. Elle communique tant bien que mal ses émotions, la joie, la colère, la sérénité, la frustration. Elle prend conscience de son environnement et des gens qui l’entourent.
Avoir un enfant c’est observer l’incarnation du temps qui passe. Impossible de feindre l’ignorance quant aux jours, mois, semaines écoulés. La preuve est là, devant moi, et comme les jours, ma fille est différente à chaque levé du soleil.
Être en sa présence m’oblige à analyser ma propre évolution, en tant que femme, en tant que mère, en tant qu’individu. Je remets en question tous les pans de mon identité. C’est ce qui, hier, veille de l’anniversaire de ma princesse, a fait couler des larmes douces mais nombreuses sur mes joues, pleines de gratitude et d’amertume. Comme ma grossesse, mon expérience de la maternité est aussi délicieuse que douloureuse.
La gratitude évoquée plus haut vient du fait qu’être la mère de ma fille est une joie. Je pense sincèrement avoir de la chance d’être sa mère, sa mère à elle, et pas celle de quelqu’un d’autre. Se voir offrir un bout du soleil est un honneur à ne pas négliger. Un seul sourire et je suis désarmée. L’amertume évoquée vient du fait que, en un sens, je suis tombée dans un piège. Celui de reléguer ce que je suis au second plan. J’ai délaissé la personne que je pensais être au profit de mon nouveau rôle de mère, je me suis “perdue”.
Mais si ce n’était que ça, j’aurais pu me retrouver. La mal est plus profond. Voir ma fille devenir, petit à petit, la personne qu’elle sera me fait prendre conscience que j’ai personnellement interrompu mon propre voyage vers ma forme finale. Me voila donc, mère d’un enfant de 1 an, à me poser des questions sur moi même auxquelles je n’ai pas de réponses définitives. À penser aux expériences que je n’ai pas eues. Je me sens comme une adolescente, encore attelée à la tâche de l’autodéfinition. Je frémis à l’idée de ne jamais retrouver le chemin vers moi même. J’aurais voulu déjà me sentir “accomplie”, pour moi d’abord, mais aussi pour que ma fille ai un réel modèle de représentation, pas une femme qui semble “incomplète”.
Mais tous les maux ne sont pas internes, nombre de mes souffrances ont pour source le conditionnement que j’ai reçu. Même en étant la fille d’une mère qui a mis un point d’honneur à ne pas m’imposer une éducation (trop) genrée, j’ai internalisé l’injonction sociétale à la maternité ainsi que le mythe total de “l’instinct maternel”. Bien qu’étant consciente de la supercherie de ce mythe, je me suis surprise toute cette année à culpabiliser. Culpabiliser pour toutes les fois où, face à ma fille, je me suis sentie démunie. Toutes les fois où, épuisée, je n’ai pas pu lui donner l’énergie qu’elle méritait. Toutes les fois où j’ai été incapable de comprendre le sens de ses pleurs. Toutes les fois où je n’ai pas su interpréter instantanément ses besoins. J’apprends encore à me pardonner, j’apprends encore à apprécier les erreurs qui feront de moi un meilleur parent plus tard.
Cette injonction à la perfection qui est faite aux mères est d’autant plus lourde lorsqu’on est une maman noire en Occident. Ici le peu de compassion et de respect qu’on accorde aux femmes blanches et leurs enfants m’est refusé. Un rendez vous de routine chez le pédiatre se transforme en interrogatoire parce que la présomption est que je suis forcément précaire, violente, et que je pousse des enfants chaque année. Une balade en poussette se transforme en série de combat avec les parents blancs et leurs progénitures qui estiment avoir la priorité sur tous les espaces, trottoirs, parcs, jeux, contrairement à ma fille. Le racisme systémique inhérent à la France fait qu’à la moindre maladresse, on pourrait me juger inapte à prendre soin de ma fille. Je n’ai aucune marge d’erreur, aucune empathie, c’est pourtant ce dont tout parent à besoin.
De manière perverse c’est justement ce racisme, plus précisément dans le cas que je vais évoquer, le colorisme, qui fait que ma fille reçoit depuis sa naissance des compliments en pagaille. Ma fille est claire de peau. Les coloristes qui s’ignorent diront “couleur caramel”. Le jour de mon accouchement, les sages femmes ont adopté un air surpris mais soulagé en voyant la peau très légèrement hâlée de ma fille. Dans la rue, les gens nous arrêtent pour chanter les louanges de son teint. Lors d’un récent voyage en Côte d’Ivoire, alors que ma fille se réjouissait d’être entourée exclusivement de gens qui lui ressemblaient, les jeunes filles qui jouaient avec elle ne cessaient de répéter “je veux la même, avec cette jolie peau”. Ma fille était devenu un argument pro mixité, dans leur esprit, une belle peau ne peut être QUE le résultat d’un sang partiellement blanc. C’était avant de réaliser, choquées, que mon enfant avaient bel et bien deux parents noirs et foncés. Avoir un enfant noir dans un monde dicté par la suprématie blanche c’est (RE)prendre la mesure de l’intensité du racisme global et systémique.
Ce rapport qu’ont les inconnus avec ma fille m’a aussi donné l’occasion d’observer cette année le peu de respect qui est donné aux enfants de manière générale. Partout où je vais avec ma fille, je ressens, j’entends et je vois l’agacement provoqué par sa simple présence dans un espace public que les adultes préféreraient s’accaparer (agacement accentué par le racisme puisque nos enfants noirs subissent ce que j’appelle “la présomption de sauvagerie). Avant même qu’elle ouvre la bouche, elle est considérée comme une nuisance. Partout où je vais avec ma fille, je dois me reconvertir en bouclier humain afin de faire barrage entre mon bébé et les inconnus qui trouvent normal d’essayer de la toucher et d’envahir son espace vital. Je me pose alors cette question : comment inculquer efficacement le principe de consentement à des enfants quand le leur n’est quasiment JAMAIS respecté au quotidien ?
Cette question n’est qu’une parmi tant d’autres soulevées par le défi de la maternité. Cette année j’ai beaucoup pleuré, de joie, de peur, de dépression, de soulagement.
Aujourd’hui, je célèbre ma fille, je célèbre aussi son père, le meilleur parent que j’aurais pu lui donner, le meilleur équipier que j’aurais pu trouver. Demain est le premier jour du reste de la vie de mon trésor d’enfant, je continuerai d’apprendre avec elle pour être la meilleure partenaire de voyage qu’elle pourrait avoir.